Une nouvelle manière de structurer l’Eglise dans le diocèse
La baisse de fréquentation dans les paroisses d’une part, la diminution constante du nombre de prêtres d’autre part, provoquent immanquablement une réflexion sur les structures et des mouvements profonds de réorganisation. Le plus important actuellement est bien la réunion de différentes paroisses proches en « Unités pastorales ». Et les chrétiens de s’interroger. Le but final est-il de regrouper un jour des communautés pour réunir leurs moyens humains et matériels ? Faudra-t-il se déplacer pour célébrer l’eucharistie ? Cette évolution est-elle inéluctable ? N’y a-t-il pas d’autres pistes à explorer ?
Et le tout repose sur des idées fortes mais toutes simples, issues des travaux de Vatican II et qui devraient être évidentes pour tous :
– « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux. » Voilà bien la communauté chrétienne locale : des croyants réunis au nom de Jésus qui est avec eux.
– Des hommes et des femmes de notre temps peuvent susciter, organiser et faire vivre de nombreuses associations de toutes sortes ; ils font fonctionner les rouages de la société civile. Pourquoi pas aussi des communautés chrétiennes ?
– Former Eglise, ce n’est pas aider le prêtre, mais c’est prendre en charge la vie de la communauté. L’important sont les personnes et non les structures, les croyants et non les prêtres seuls.
L’Eglise peut-elle se comporter selon une logique de la responsabilité administrative ? Va-t-on à la messe comme au supermarché, quérir ce dont on a besoin, dans un relatif anonymat ? Témoin cette remarque d’une vieille femme : « La messe à la télévision, c’est bien. Mais il manque les autres. »
Pendant ce temps, en France comme chez nous, nombre de diocèses se lancent dans une restructuration paroissiale. Sous quelques nuances particulières, le principe reste identique : ramener autour d’un point unique, où réside le prêtre, l’essentiel de la vie chrétienne.
Mais la structure secrète sans cesse la tentation du pouvoir : elle « cléricalise ». La concentration réunit les convaincus et les « mobiles », mais les autres ne se déplacent plus ou rarement. Et en plus, le territoire ne comporte plus que des oasis de chrétienté.
Où se trouve l’Eglise ? Là où habite le prêtre qui rassemble autour de lui ceux qui se déplacent ? Ne se trouve-t-elle pas là où existe une communauté vivante animée par Jésus et respirant son Evangile ?
Albert ROUET (évêque du diocèse de Poitier) opère alors une véritable révolution : « …passer de l’état de laïcs qui tournent autour du prêtre « pour aider Monsieur le Curé » en adjoints dévoués et effacés, au statut de communautés réelles, responsables, avec un prêtre à leur service, allant de l’une à l’autre en prenant son temps. »
L’objectif est donc de créer des communautés locales là où il y a des croyants. Le prêtre visite et anime celles dont il a la charge. St Paul ne faisait pas autre chose quand il visitait les églises locales ou leur écrivait, après y avoir reconnu des « Anciens » responsables de la communauté. « Au cœur du monde, des communautés chrétiennes avec des prêtres à leur service » « La première mission des chrétiens, être le sel de la terre, à condition qu’ils agissent collectivement, en communautés, que ce soient des paroisses, des équipes ou des groupes. »
La mise en avant du Peuple de Dieu, voulue par Vatican II, est ainsi pleinement vécue. La structure n’est plus pensée par et pour les prêtres qui acceptent l’aide de laïcs quand ils ne suffisent plus à la tâche. La vie de la communauté locale est prise en charge par les croyants, non seulement la vie matérielle, mais surtout l’ensemble des missions de l’Eglise : annoncer Jésus-Christ, prier et servir l’homme. On ne crée pas ces communautés à la place du prêtre, ou à cause de son absence, il s’agit de créer un tissu ecclésial dont le prêtre sera le veilleur spirituel » Et cela permet au prêtre d’être vraiment prêtre : être au service des communautés, faire grandir les fidèles dans la foi, être le « signe vivant » de l’Autre, assurer la communion entre les communautés dont il est le pasteur (par exemple par une eucharistie du secteur célébrée souvent une fois par trimestre). Pour montrer que tout ce travail local est enraciné dans le Christ, tête de l’Eglise.
Dans un tel paysage, le danger de cléricalisme est résolument écarté. Pour cela aussi, la communauté locale ne recouvre pas nécessairement l’ancienne paroisse. L’Evêque rappelle que l’essentiel réside dans la confiance réciproque qui doit régner entre la hiérarchie et les laïcs responsables qui ont été élus et installés.
Concrètement, la communauté locale est rassemblée par un délégué pastoral qui est au service de la communion entre les responsables et les autres membres. Il représente aussi la communauté à l’échelon du secteur et devant les autorités civiles. C’est pourquoi il est élu par tous. Il reçoit une lettre de mission qui précise son rôle. Un autre responsable est élu : le trésorier en charge de la vie matérielle de la communauté. Le secteur fait aussi appel à trois collaborateurs qui auront, dans la communauté, la charge des trois missions essentielles d’une Eglise : annoncer la foi, prier et exercer la charité au sens large, c’est à dire le service à ceux qui en ont besoin. Chacun, bien sûr, s’entourera de collaborateurs. L’appel revêt une grande importance car, d’expérience, il grandit l’appelé, s’il répond à l’appel et acquiert de ce fait une expérience nouvelle, mais aussi s’il décline l’appel pour des raisons valables, car il s’est senti reconnu par la communauté. Relevons aussi que, selon les cas, l’appel peut aussi s’adresser à un « chrétien du seuil », qui ne pratique pas régulièrement, mais peut très bien assurer telle tâche qui lui est confiée. Lui aussi se sentira reconnu et sans doute verra-t-il la communauté chrétienne autrement. Un autre constat : si une catéchiste, par exemple, assure depuis près de vingt ans la catéchèse dans la communauté, il lui sera impossible de trouver une succession, personne ne souhaitant s’engager à ce point. C’est pourquoi toutes les charges ou responsabilités sont conférées pour trois ans seulement, avec une seule possibilité de renouvellement.
L’installation d’une communauté locale fait l’objet d’une célébration solennelle, sur place, en présence des responsables du secteur et de l’évêque qui confirme à chacun son envoi et cautionne sa mission.
Une grande attention est portée à la formation de toutes ces personnes, une formation sérieuse et continue. Les liens avec les autres communautés du secteur sont aussi favorisés.
Ajoutons enfin que, en dehors des communautés locales, la même conception des choses est appliquée dans ce que nous appelons les « mouvements d’action catholique » où là aussi, les laïcs sont totalement responsabilisés.
Tout cela devrait susciter réflexion. En effet, où se trouve l’Eglise ? N’est-ce pas là où il y a un clocher, parce que généralement, autour du clocher, il y a un village, un quartier et dans ce lieu une communauté de croyants qui essayent de vivre l’Evangile ? N’est-ce pas là l’Eglise visible et vivante ? L’Eglise à laquelle chacun pourra se référer s’il s’en est éloigné ? Cette autre manière de voir les choses n’empêche pas des communautés voisines, réunies en Unités Pastorales, de s’entraider en mettant par exemple en commun certaines ressources humaines ou matérielles et en favorisant des actions communes en matière de formation, de catéchèse, de préparation aux sacrements.
Comme le dit Mgr Rouet, c’est une « révolution copernicienne » dans la manière d’envisager la vie des communautés et de l’Eglise dans un diocèse. Et tout cela est loin d’être figé mais paraît bien vivant et en continuelle recherche.
(Laurent Hombergen)